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Tocc'à voi - Loi sur la sécurité globale : une atteinte inacceptable aux droits et libertés fondamentaux


Ludovic Giuducelli, Avocat le Jeudi 26 Novembre 2020 à 15:39

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Les digues de la démocratie sont-elles en train de céder sous la pression d’une vague répressive née du pouvoir en place ? 
La démocratie et son support essentiel, une presse libre et indépendante, peuvent-elles résister à ce nouvel arsenal législatif qui saccage le fondement du pacte social. 
De telles interrogations trouvent leurs sources dans la proposition de loi relative à la sécurité globale votée en première lecture par l’Assemblée nationale le 24 novembre dernier. 
Ce texte, qui a fort légitiment inquiété la société civile dans son ensemble et la presse en particulier, doit retenir toute notre attention tant ses conséquences juridiques s’avèrent désastreuses. 
Bien loin de révéler un réflexe épidermique de mouvements de la gauche radicale, selon la caricature qui en est faite par le gouvernement, la loi sape la liberté de la presse au pays de Zola, Kessel et Albert Londres. 
Il ne faut jamais perdre de vue que la démocratie et l’état de droit ne sont pas éternels. 
La préservation des acquis essentiels pour l’exercice de notre liberté implique une vigilance permanente et une lutte continue. 
Aujourd’hui, d’obscures forces viennent frapper à nos portes pour s’inviter dans le havre de paix difficilement construit, si imparfait, mais où la presse peut librement continuer d’exister.
L’on a longtemps eu tort de penser que l’Union européenne, politiquement et juridiquement, serait un rempart indéfectible pour se protéger des atteintes portées à la démocratie. 
Les exemples hongrois et polonais nous rappellent la froide réalité.
Il est plus que jamais nécessaire de se convaincre que la France ne saurait être épargnée par de tels outrages faits aux règles de droit les plus élémentaires. 
Il est donc cocasse de constater que Monsieur Macron, qui s’affirme de manière artificielle sur le plan international comme le garant des démocraties progressistes contre les régimes illibéraux, mette en œuvre dans son propre pays des mesures que ces derniers ne renieraient pas. 
La situation est rare, voire inédite, d’entendre le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, la Commission européennes et de nombreuses associations de défense des droits humains alerter et s’inquiéter conjointement des atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales que fait peser une loi de sécurité globale dans un régime dont le caractère démocratique ne fait pourtant pas débat.
Et pour cause, les critiques ne peuvent qu’être admises puisque tous les instruments juridiques de protection des droits fondamentaux au niveau international, européen et français sont bafoués par ce texte. 
Le fameux article 24 de la proposition de loi, qui fait l’objet des critiques les plus virulentes, prévoit de punir d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser quel qu’en soit le support, « dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique », l’image d’un agent de la police nationale ou de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police.
Il serait tentant d’analyser cette disposition selon un prisme purement électoral. 
Il est parfaitement admis que le Président de la République entend :
  • d’une part, satisfaire les exigences des syndicats des forces de l’ordre en cédant sur des demandes que l’on pourrait aisément qualifier de corporatistes ;
 
  • d’autre part, renforcer son positionnement à droite de l’échiquier politique en vue de récupérer l’électorat de droite (le texte est d’ailleurs voté avec l’appui de la droite classique et de l’extrême droite). 
 
Cette seule analyse serait donc réconfortante. 
Toutefois, compte-tenu de la gravité du texte, il n’est pas possible de s’y abandonner et de s’y complaire.  Les rapports ambigus qu’entretient le pouvoir en place avec la liberté de la presse et le droit de manifester nous obligent à prendre conscience de l’objet réel de cette loi et de ses incidences éminemment néfastes pour nos droits. 
D’abord, les forces de l’ordre qui, faut-il encore le rappeler, sont les premiers maillons de le chaine pénale, deviendront à la fois juge et partie puisqu’ils pourront interpeller un journaliste en train de couvrir une manifestation au prétexte de déceler dans son action une intention malveillante. 
Il y a de grandes chances que les gardes à vue qui suivront ces interpellations ne donneront lieu à aucune poursuite.
L’atteinte portée en sera toutefois indélébile et pourrait s’analyser comme une forme d’intimidation qui n’a pas lieu d’être dans notre pays. Ensuite, une autocensure de la part des médias doit être redoutée.  Rendue inévitable par la lourdeur de la peine encourue (un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende) que les journalistes ne pourront pas assumer, cette forme de censure limitera de fait la liberté de la presse. 
Enfin, cette loi fait suite à de nombreux témoignages audiovisuels mettant en évidence les dérives des forces de l’ordre dans l’usage de la force lors des dernières manifestations et rassemblements.  Ces dérives doivent être combattues et l’absence d’enregistrement des interventions policières entrainerait fait redouter que s’installe une forme d’impunité des forces de l’ordre. La défiance des citoyens à l’encontre des forces de l’ordre, qui s’aggrave grandement chaque jour, ne faiblira donc pas, ce qui est regrettable. La disposition la plus médiatique de cette loi ne doit pas faire oublier qu’elle est par ailleurss structurellement nocive pour les libertés. 
Les différentes mesures gravement attentatoires aux droits et libertés fondamentaux qui seront mises en place ne doivent pas être négligées (reconnaissance faciale, renforcement des compétences de la police municipale, utilisation des drones, renforcement de la sécurité privée…).